Saturday, June 24, 2006

"Ni mythos, ni agneaux"


Ils n’ont pas l’air triomphant. Sales, fatigués, pas rasés, vêtus de tenues hétéroclites, armés de la même manière, ils ont un profil cassé comme on casse une silhouette à l’aide du camouflage. Ce sont des SAS à Oman, sur une vieille photo des années cinquante.

Une musique techno rythme la succession saccadée d’images de ninjas suréquipés se jetant dans le vide à quatre mille mètres, glissant le long de la corde d’un hélicoptère ou surgissant en silence de la mer. Clip magique, phantasme moderne des forces spéciales, super joker entre les mains des autorités d’Etat.
Des deux visions, la plus ancienne, paradoxalement, exprime plus fidèlement ce qu’est la réalité du métier des forces spéciales.



Forces spéciales et technologies : des moyens nécessaires mais non suffisants

Certes, les forces spéciales sont devenues au fil du temps une composante sophistiquée des forces armées. Dotées d’un commandement opérationnel autonome, rassemblées sous une même autorité dans une logique de complémentarité et d’interopérabilité tant nationale qu’internationale, elles jouent maintenant dans la cour des grands. La France a reçu la certification OTAN pour être nation cadre dans la conduite d’opérations spéciales. Elle a développé un savoir-faire hors du commun, dans des délais très courts, en misant sur des traditions déjà fortement établies, notamment chez les commandos marine, au 13ème RDP, au 1er RPIMa, chez les commandos de l’air et parmi les spécialistes de la troisième dimension.
Les quinze dernières années ont vu s’allonger la liste des missions menées de façon plus qu’honorable par le commandement des opérations spéciales (COS) sous le regard scrutateur de nos alliés : arrestation de criminels de guerre, extraction de personnalités, évacuation de ressortissants de zones dangereuses, expertise initiale de théâtre, renseignement, lutte anti-terroriste…

Les unités des trois armées qui constituent la substance humaine de ces forces disposent aujourd’hui d’équipements qui accroissent sensiblement leur efficacité : aéronefs dédiés, transmission rapides et cryptées, armement diversifié adapté aux missions, optique de vision nocturne, de photographie et d’observation, matériel de saut à très grande hauteur, véhicules spécifiques, équipements individuels. Cet arsenal les projette dans un univers technologique en rupture avec le passé. La simple idée de transmettre en temps réel la photo d’un criminel de guerre au moment où il sort de sa tanière relevait, il y a peu, de la science fiction. Il en va ainsi de nombreuses techniques mises désormais en œuvre au sein des forces spéciales.

Mais Cette compétence, sur laquelle on s’accorde, le doit moins aux techniques qu’aux hommes. La technique est accessible dès lors que l’on dispose de moyens financiers. Mais il ne suffit pas d’affubler un soldat d’un ghillie suit pour en faire un commando. Le plus difficile à acquérir, pour accéder au meilleur niveau dans le domaine des forces spéciales, relève de la compétence strictement humaine. Capacité physique et psychologique à agir, contact humain, aptitude intellectuelle et organisationnelle à concevoir et à décider. Voilà où se situe le principal facteur de compétitivité de ce système d’hommes particulier.

Les technologies sont le prolongement du bras de l’homme, la démultiplication de sa force physique et intellectuelle. Elles sont un atout entre ses mains pourvu que leur emploi soit pertinent, testé, évalué et adapté. Disposer du super Cougar ou de véhicules de patrouille SAS opérationnels est indispensable. Mais le plus important reste de comprendre le type de conflit ou de crise dans lequel on s’engage. La technologie appuie et renforce alors le mode d’action que l’on choisit. La priorité donnée au technologique inverse les données et conduit à des expériences cuisantes. Les forces américaines en Irak découvrent par exemple les effets néfastes de la saturation des chefs de terrain par les outils d’information du champ de bataille.

Les conflits de type classique dans un environnement technologique avancé donnent normalement l’avantage aux forces les plus sophistiquées, encore ne faut-il pas oublier que l’aptitude des chefs à concevoir des stratégies, des tactiques, à conduire les hommes au combat n’est pas un simple artifice verbal pour cérémonies commémoratives. Ceux qui l’oublient finissent par connaître des heures sombres.

Dans les conflits asymétriques, ce constat est démultiplié. La ruse, les stratagèmes, l’action psychologique, la capacité à canaliser les énergies, à s’organiser sont les outils privilégiés des guérillas. La technologie sait intercepter un message radio ou un missile, plus difficilement un messager anonyme noyé dans les flux de la vie courante.



Le potentiel humain, clef de voûte des forces spéciales

Les forces spéciales depuis qu’elles existent n’ont jamais perdu de vue le fait que l’Homme est la clef de voûte de leur capacité d’action. C’est en cela que réside principalement le secret de leur efficacité.

Inutile de s’appesantir sur les qualités athlétiques requises pour servir dans ces unités. Soulignons toutefois que les qualités physiques se développent sous l’effet d’un effort constant de volonté. Celui qui n’a jamais connu les petits matins glacés, ou l’eau à dix degrés, peut se gausser de ces garçons recouverts de bleus à force de parcours d’entraînement. L’activité physique est la première école d’aguerrissement des forces spéciales.

Au-delà de ces performances, l’expérience, cumulée au cours des décennies depuis les landes d’Achnacarry jusqu’aux pistes de Mont-Louis, de Bayonne ou de Dieuze, permet d’identifier ce que l’on attend du commando : la solidarité qui lie entre eux les sorts individuels, l’esprit de décision sans lequel il n’est pas d’action, la stabilité émotionnelle qui aide à affronter l’imprévu, l’audace qui permet de saisir les opportunités, le professionnalisme qui fait prévaloir la capitalisation de l’expérience, le courage qui est la base de toute autorité, l’imagination qui mène aux solutions inespérées, la curiosité qui fonde le renouvellement de la pensée.

Voilà pourquoi la vieille photo des années cinquante est plus illustrative de ce qui attend psychologiquement le jeune candidat aux forces spéciales que le clip qui pourtant éveille plus d’émotion. La réalité, c’est l’effort, la fatigue, l’usure, l’attente, l’adversité. Le reste, comme on dit, c’est du cinéma.

La sélection, la formation initiale ou continue, les évaluations mettent l’accent sur ces qualités dont l’étendue peut paraître dissuasive aux postulants. D’autant plus que la formation est longue et ne prend, à vrai dire, jamais fin. A ceux là, on peut dire que le potentiel dont dispose chacun est insoupçonné. Ce qui est plus rare, c’est la volonté et le courage de l’exploiter.
Cette palette peut également inquiéter l’observateur frileux. La valorisation de l’initiative peut apparaître comme source de risque face à une certaine vision de la cohérence d’ensemble. La forte personnalité des membres des forces spéciales effraie aussi les chefs peu assurés de leur autorité. Enfin, la dérive clanique guette toujours un peu ces unités si leur chef n’en maintient l’équilibre. Il est vrai que pour mener un pur-sang, il vaut mieux savoir monter à cheval.

La pratique des dernières années est à cet égard rassurante. C’est le professionnalisme qui l’emporte. La doctrine, les méthodes, les techniques, les équipements font l’objet d’un travail croisé entre les composantes des trois armées, l’expérience s’accumule à tel point que le plus urgent est désormais moins de renforcer le savoir-faire des forces spéciales que de mieux mesurer l’usage que l’on en fait.

Victimes de leur succès, de la parfaite adéquation de leur palette aux situations contemporaines, la tentation est grande d’en abuser. Adaptées aux missions de niveau stratégique, riches de compétences sophistiquées et d’un capital humain hors du commun, il importe de s’en souvenir au moment ou l’on décide de leur engagement.
L’utilisation de ces unités au mauvais niveau abaisse leurs qualifications et leur suremploi érode un potentiel humain lent à reconstituer. Les forces spéciales sont adaptées à la chirurgie de précision, s’en souvenir c’est rentabiliser l’investissement consenti par la collectivité nationale et respecter ces hommes à qui on demande d’être prêts à aller au-delà du possible.


1 Comments:

Blogger simranjitsingh said...

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1:33 PM  

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